Le Dr Sébastien Garson est diplômé du DESC (diplôme d’étude spécialisée complémentaire) de chirurgie plastique, reconstructrice et esthétique. Vice président du SNCPRE, Co Directeur scientifique de IMCAS. Membre SOFCEP, SOFCPRE, ISAPS, ASPS. Il nous livre sa vision du secteur.
Anti Age Magazine : Parlons chiffres ! Les années 2000 ont marqué un tournant important avec l’utilisation du Botox à des fins esthétiques et l’explosion de la demande en procédures non-invasives. 24 ans plus tard, est ce que ces deux événements sont toujours l’actualité ?
Dr Sébastien Garson : Il suffit de voir la fréquentation avec la présence de nombreux exposants et participants lors des congrès notamment celui de IMCAS 2024 avec plus de 18 000 congressistes. Une croissance à deux chiffres, une demande toujours là avec néanmoins une baisse de régime lors du Covid qui s’est ressentie dans tous les domaines mais avec une tendance qui remonte déjà fortement. Peut-être pas encore à des niveaux de croissance avant COVID (nous étions à 3% en 2023 et sommes à 7% pour 2024).
AAM : Si il y a quelques années, des pays comme la Russie ou l’Asie affichaient des croissances très fortes, est ce que le Moyen Orient et l’Afrique sont les prochains relais de croissance ?
Dr S.G. : Cela fait déjà une dizaine d’année que nous sommes présents en Asie et au Moyen Orient qui ont toujours été des marchés de gros consommateurs, Dubai développant par ailleurs beaucoup son « Hub santé ». Ces marchés surfent sur les réseaux sociaux et s’adaptent rapidement à la demande. Les industriels y cherchent également un relai de croissance. Concernant l’Afrique, les considérations anatomiques restent différentes entrainant d’autres demandes. Il n’est pas possible d’y dupliquer les mêmes procédures sachant que l’on n’assiste pas au même type de vieillissement.
AAM : Les crises successives ne semblent pas affecter ou peu affecter la croissance du marché. Comment peut-on expliquer cette insouciance ?
Dr S.G. : Les patients se retrouvent entre eux et veulent prendre soin d’eux. La pression sociale et professionnelle est toujours là et celles et ceux qui veulent conserver leur travail sont en recherche d’optimisation de soi pour pouvoir répondre à cette demande. La dimension professionnelle est visible et les outils d’échange numérique ont renforcé une image qui ne correspondait pas forcément à leur vision d’eux même. Ce n’est pas non plus un marché du luxe qui souvent résiste mieux aux crises même si des pays exercent des prix élevés comme aux Etats Unis. Un panier moyen est d’environ 800 euros par an pour 3 séances. La fréquence doit être raisonnable et pour éviter un surdosage de volume par exemple avec le risque de visage trop gonflé avec de vrais problèmes à la clef. Il faut garder mesure et revenir quand c’est nécessaire.
AAM : Intelligence artificielle, robotique, réalité augmentée émergent dans la médecine et la chirurgie esthétique. Peut-on y voir une révolution à venir pour les praticiens comme pour les patients ? Et quelle sera la véritable innovation qui peut bouleverser les pratiques actuelles ?
Dr S.G. : Pour l’instant la réalité augmentée est intéressante mais n’est pas encore suffisamment précise. Le mapping 3D est une aide et une prise de conscience supplémentaire pour des personnes peu formées mais ne remplace pas encore le savoir faire d’un praticien aguerri. L’arrivée de l’Intelligence artificielle est aussi à regarder de près, sachant qu’il y a un risque de voir disparaitre une partie du diagnostic, voire de la pratique au désavantage du professionnel de la santé pouvant être court-circuité par des sociétés de service qui vont proposer un pré-diagnostic et recommander leur propres produits. Par contre l’échographie, en l’utilisant à bon escient, peut se banaliser grâce à des prix d’équipements plus abordables et des formats plus compacts. Pas obligé de disposer d’un cabinet de radiologie pour s’en servir ! Cela améliore la prise en charge du patient et la gestion des complications : un vrai « game changer » !
AAM : Quand on regarde le nombre de conférences, workshops abordés lors du dernier IMCAS, les injectables font la course en tête loin devant la chirurgie plastique. Pourquoi un tel engouement ? Et toujours selon IMCAS, les praticiens le plus représentés sont les dermatologues. Pourtant ce ne sont pas les plus nombreux à exercer dans ce domaine ? Comment l’explique t-on ?
Dr S.G. : Les dermatologues font partie des piliers avec une différence entre les dermatologues français qui sont submergés par la demande et les autres qui souvent sont plus tournés vers les injectables. Ce sont de bons témoins de la qualité scientifique des sessions proposées avec de la dermatologie chirurgicale qui va au delà du vieillissement avec des traitements combinés pour améliorer la qualité de la peau. On peut parler de psoriasis, de vitiligo, etc.. qui sont sujets à débat et à recherche et pour moi cela s’insère bien dans l’esthétique médicale.
AAM : En tant que vice président du SNCPRE, vous avez mené plusieurs actions notamment pour alerter sur le phénomène des Fake Injectors. Concrètement quelles sont les actions menées ?
Dr S.G. : Cela fait 3/4 ans que le syndicat dépose des plaintes accompagnant les rares victimes qui portent plainte malgré la peur des conséquences avec des menaces directes de la part des Fake Injectors. Il y a un champ libre à la pratique illégale, bien que les autorités de tutelles (DGS, HAS…) ait été averties depuis 2010 des risques. La justice n’est pas également très au fait du sujet et cela prend du temps… Il y a en ce moment une quinzaine de jugements avec majoritairement du sursis. Nous avons une veille au niveau des syndicats avec un cabinet d’avocats dédié et de nombreuses remontées de la part de confrères. Cela commence à porter ses fruits avec des plaintes qui aboutissent. Parmi la population recourant à des Fake Injectors, nous retrouvons aussi des mineurs qui n’ont pas le droit d’être injectés sans le consentement de leurs parents et qui se renseignent sur les réseaux sociaux. Pour ces mineurs, il est important de délivrer les bonnes informations et de continuer à éduquer la population.
AAM : On évoque de plus en plus un DIU de médecine esthétique. Est ce une solution pour réguler ce marché ou mieux former les prochains praticiens ? Quel est le risque du retour du numerus clausus dans un secteur très porteur et qui à terme manquera de praticiens ?
Dr S.G. : Le numerus clausus touchera la nouvelle génération de médecin sortant de cette formation pour des raisons de place disponible. Aux dernières nouvelles, il n’y a pas de clause du grand père (ndlr : sous réserve d’une expérience ancienne et reconnue, les anciens praticiens pourraient être directement qualifiés ou sur une validation des pratiques), c’est peut être là que le bât blesse. Il y a forcément une limite technique de formation avec des heures de cours théoriques mais aussi pratiques. La mise en œuvre reste complexe. Le CNOM attend beaucoup après ce diplôme pour faire valoir ou non la capacité d’exercer cette médecine. La discussion dure depuis plus de 10 ans. Cela ne peut pas être une spécialité en tant que telle mais une pratique en plus. Le risque de paupérisation de la médecine généraliste est néanmoins bien présent, la recherche d’un équilibre entre médecine généraliste et esthétique reste souhaitable.