« Je suis né dans un bocal médico chirurgical duquel je n’ai jamais pu m’échapper »
Par Thierry Piolatto
Une mère professeur d’anesthésie à la Pitié Salpêtrière, un père pharmacien, un grand-père chirurgien, une tante gynécologue obstétricienne, une grand-mère sage-femme, ma vocation « provoquée » était évidente… J’ai ainsi eu la chance de traîner très jeune dans les blocs opératoires, où ma mère me faisait faire mes devoirs dans un coin de la salle d’opération. J’ai assisté à ma première appendicectomie à côté de mon grand-père à l’âge de 12 ans…. Les blocs opératoires, les cliniques et les hôpitaux faisaient partie de ma vie et de mes vacances, je m’y sentais en terrain familier et les « odeurs de clinique » m’ont marqué à jamais.

Ma vocation a donc été provoquée ! mais le choix de ma spécialité est né d’un entretien visionnaire qui a changé ma carrière.
Dans ce contexte, je ne voyais pas ce que je pouvais choisir d’autre comme métier que chirurgien ! Ma mère (anesthésiste) m’a fait connaître des grands chirurgiens, « ses patrons » (Professeurs Mercadier, Garnier, Clot, Bacourt…) qui m’ont pris sous leur aile ; Je leur fais part ici de mon immense reconnaissance, et ce à double titre : Ces grands « pontes » qui dans un premier temps m’ont entraîné dans leur sillage, m’ont très vite annoncé ce qui, pour moi, était une terrible contrariété « Tu ne dois pas continuer ton cursus vers nos spécialités (digestives, vasculaires,) car d’ici quelques années, la chirurgie que nous t’enseignons va disparaître grâce aux progrès de la prévention, des traitements médicaux, de l’endoscopie sous toutes ses formes, de la radiologie interventionnelle etc… Les seules spécialités chirurgicales qui survivront à cette évolution, (pendant quelques temps encore) seront l’orthopédie (les chaises cassées sic) et le vaste domaine des « malfoutaisons physiques sic », qu’elles soient objectives (malformations) ou subjectives (esthétiques pures) ».
J’ai suivi leurs conseils visionnaires et j’ai opté pour la chirurgie esthétique, spécialité quasi inavouable voire honteuse, à l’époque. J’ai très vite adoré cette spécialité qui alliait une gestuelle chirurgicale avec une grande composante artistique que je n’avais pas rencontré dans les autres spécialités. C’est en opérant à la clinique du Belvédère que j’ai rencontré le Dr Tessier qui est devenu mon gourou. Une personne « Extra ordinaire » qui a marqué toute ma carrière. Il était connu mondialement pour ses opérations sur les malformations crânio-faciales qui repoussaient les limites de l’impossible. J’aimais cet homme vrai, terrien, quasiment autodidacte et qui détestait les diplômes …sa carte de visite : Dr Paul Tessier, chirurgien, et rien de plus ! c’est rare de nos jours…et pourtant un chirurgien hors normes…Je l’ai côtoyé 3 ans, à l’hôpital Foch et au Belvédère. Plus tard je me suis installé seul, rue de la faisanderie à Paris, et opérais à la clinique Marignan ; les plus belles années de ma vie, j’avais mon « office surgery », rue de la faisanderie ; j’étais libre, épanoui, et mes patients heureux.
Chirurgie esthétique, chirurgie du paraître ? : Passionnante mais très complexe !
Nous sommes des médecins et des chirurgiens du paraître (des paraîtrologues) ; Quelle complexité ! Passer d’une apparence contestée (par qui ? pourquoi ?) à une apparence espérée (laquelle ? dans quel but ?) …pas facile de traiter le paraître ! Or le seul but d’un acte esthétique est de rendre un patient plus heureux, avec peut-être une meilleure « estime de soi ». C’est là que la composante médicale est fondamentale pour écouter, comprendre le patient, sa personnalité, ses espérances, pour savoir si nous avons une chance de le satisfaire, sinon l’opération est ou sera un échec…il faut savoir refuser l’acte esthétique, savoir dire non.
Le paraître a pris le pas sur l’être…nous ne traitons pas le patient mais son apparence, ce qui n’est surement pas le traitement étiologique (sauf peut-être pour une disgrâce morphologique).
Médecin, Chirurgien et Artiste… 3 exigences incontournables du chirurgien esthétique
Ce que j’aime dans ce métier, c’est le tripode médecin, artisan et artiste. Si la composante éthique médicale est théoriquement présente, et l’apprentissage des différentes techniques acquise, rien ne garantit la qualité du résultat ! Nous savons tous réaliser un lifting, opérer un nez mais aucun chirurgien n’aura le même résultat émotionnel. Paradoxalement, la seule chose qui n’est pas enseignée dans notre spécialité est le versant esthétique. Celui-ci dépend de la sensibilité propre du chirurgien, de ses goûts, de sa culture et de ses prédispositions. Faire c’est facile, quoi faire, pourquoi et où, c’est de l’art !
A cet égard, seule la mimique permet de percevoir les signes d’attractivité, d’âge, de charme voire de charisme, ce qui est fondamental à deux égards : Quoi faire et à quel endroit, quoi ne surtout pas faire pour préserver les éléments de perception positive et surtout ne pas les abîmer… L’analyse objective d’un défaut doit être remplacée par une analyse subjective, c’est-à-dire la qualité positive ou négative des codes de perception qu’il transmet.
L’avenir ? Le mini invasif : Prévenir, préserver, limiter des dommages irréversibles !
Tout acte peut causer des dommages physiques et psychologiques, surtout quand la demande n’est provoquée que par des phénomènes de mode passagers et non par une pathologie ; (grosses lèvres, gros seins, etc.). C’est là que la composante médicale et éthique de notre métier doit s’exprimer…savoir dire non, expliquer, faire comprendre et orienter le mieux possible le patient vers une image qui n’est pas forcément normée, mais qui sera la sienne. Comme toutes les chirurgies, la chirurgie esthétique (sauf peut-être morphologique) est amenée à disparaitre. C’est par la prévention que nous arriverons à limiter les actes invasifs de la chirurgie du rajeunissement facial comme le lifting. Bonne hygiène de vie, (alcool, soleil, tabac) inducteurs tissulaires, lipostructure, PRP, nanofat, machines (EBD), toxines, fils tenseurs qui permettent un vrai lifting percutané et qui vont surement révolutionner la prochaine décade par leur non invasivité, leur effet curatif et préventif de la ptôse tissulaire faciale.
Côté fillers, je suis de moins en moins fan des fillers anti âge qui remplissent et déforment au lieu de rajeunir, car ils sont incapables de lifter. Ils se résorbent plus ou moins bien, et peuvent migrer ; Par ailleurs je suis contre la théorie de la perte de volume avec l’âge à poids égal ; les volumes s’étalent et descendent. A poids stable rien ne sert d’en rajouter, il suffit de les concentrer et de les remonter, ce que font très bien les fils tenseurs. Je suis en revanche un adepte des inducteurs tissulaires (qui ne créent pas de volume) et des « morpho fillers » au contact de l’os, qui peuvent modifier les lignes et contours faciaux, pour embellir et donner l’impression de rajeunissement.
Mes interactions professionnelles.
Je suis directeur scientifique de l’AMWC Monaco (Aesthetic & Anti-Aging Medicine World Congress) depuis 2015 et je suis le Président fondateur de la SOFCEP, membre actif de la SOFCPRE, de l’ISAPS et de l’ASAPS. Je m’investis beaucoup pour l’AMWC depuis 10 ans et cela permet d’avoir des contacts dans le monde entier, de réfléchir à des sessions intéressantes, novatrices, de trouver de nouveaux speakers. Cette année nous avons réussi à augmenter notre capacité en ouvrant de nouvelles salles et en poussant l’anti-âge qui n’est à mon avis, pas encore assez mis en valeur. En fait anti- âge et esthétique sont indissociables.
Un hobby ?
Oui, à coté de mon métier, ma vie tourne autour de la musique et des chevaux. Avant mon internat je faisais des tournées avec un groupe « rock » dans toute la France…Très vite cette passion est devenue (malheureusement) incompatible avec ma carrière…J’ai arrêté, mais j’ai gardé un amour immodéré pour la musique dont je ne peux me passer…Les chevaux ? c’est une passion transmise par ma femme, écuyère hors pair, qui pratique l’équitation des rois, l’équitation de légèreté et d’harmonie. Cette symbiose absolue entre la femme et l’étalon me donne des frissons. C’est la raison principale qui a motivé mon installation à Nice, couplée à notre déménagement en 2008, vers une superbe propriété équestre à St Paul de Vence, un réel paradis…
Côté lecture ? Milan Kundera et l’insoutenable légèreté de l’être que je relis avec plaisir, et Tyranny of the Minority de S. Levitski, car passionné de géopolitique, mais très inquiet de l’avenir et de celui de mes enfants et petits-enfants, que j’ai du mal à imaginer !
Ou le trouver ?
Palais de la Régence – 2, rue Verdi 06100 Nice