Pr Yoshikazu Yonei, Pr Daniel Jean et Pr Manuel J. Castillo
La glycation est une réaction chimique résultant de la fixation des sucres sur les protéines de l’organisme. La glycation crée des liens croisés entre ces protéines et génère des composés toxiques appelés AGEs (Advanced Glycation Endproducts). Ces AGEs sont une cause majeure du vieillissement et des maladies liées à l’âge : troubles musculosquelettiques, vieillissement cutané, désordres métaboliques, maladies cardiovasculaires, neurodégénératives, certains cancers… La recherche fait des progrès considérables dans la connaissance de la glycation et les moyens de la combattre.
Le point sur ces avancées. Avis d’experts
Le professeur Yoshikazu Yonei enseigne la médecine anti-âge à l’université de Kyoto au Japon. Il est membre du bureau de la société japonaise de médecine anti-âge. Il est directeur de la revue scientifique « Glycative Stress Research ».
Le professeur Manuel Castillo enseigne l’endocrinologie à l’université de Grenade en Espagne. Spécialiste en bio-pathologie clinique, il est le directeur scientifique de la Société Espagnole de Médecine Anti-âge.
Comment expliquez-vous la glycation à vos étudiants en médecine et à vos patients, son importance dans le vieillissement ?
Pr Yonei : Au niveau moléculaire, les facteurs favorisant le vieillissement sont le stress oxydatif et le stress lié à la glycation. Contre le premier, l’organisme dispose de mécanismes de défense antioxydants sophistiqués développés au cours de millions d’années. En revanche, la glycation, causée par une glycémie élevée consécutive à une alimentation riche en sucres, s’est répandue dans le monde entier au cours des dernières décennies, alors que notre organisme n’a pas développé de mécanismes de défense intrinsèques. Il est important de faire prendre conscience que le moment est venu de lutter contre la glycation.
Pr Castillo : Avec l’âge, les protéines de l’organisme subissent diverses altérations qui affectent leurs structures et leurs fonctions. Parmi ces altérations, la glycation, un processus par lequel des molécules de glucose s’attachent de manière irréversible aux protéines, formant ce qu’on appelle les produits de glycation avancée (AGEs). Il s’agit d’un processus non enzymatique qui dépend de trois facteurs :
• la durée de vie de la protéine : plus elle est longue, comme par exemple pour les collagènes, plus elle sera glyquée,
• la concentration de glucose dans l’organisme : plus elle est élevée, plus il y a de glycation,
• la durée pendant laquelle le taux de glucose reste élevé : plus il reste élevé longtemps, plus il y a de glycation.
Comment évaluez-vous le niveau de glycation et donc de vieillissement accéléré d’un patient ?
Pr Castillo : Plus les protéines d’un tissu ou d’un organe subissent de glycation, plus il y aura d’altérations structurelles et fonctionnelles, entraînant ainsi un vieillissement accéléré. Tous les tissus et organes sont exposés au glucose et sont donc susceptibles d’être glyqués. Évaluer le niveau de glycation impliquerait d’analyser chaque tissu, ce qui serait particulièrement difficile. Cependant, nous pouvons observer les manifestations cliniques qui surviennent en conséquence de la glycation, telles que certains signes du vieillissement cutané et également mesurer les niveaux d’albumine glyquée.
Pr Yonei : La détermination de la pentosidine plasmatique est probablement la méthode la plus adaptée à l’évaluation du stress glycatif ; l’auto-fluorescence cutanée (SAF) est une méthode simple et non invasive qui convient au dépistage, mais qui manque de précision.
Quelles sont vos recommandations pour prendre en charge la glycation ? Comportements, traitements, à partir de quel âge…
Pr Yonei : Il est conseillé d’intervenir tôt. Au Japon, lorsque les femmes sont enceintes, elles reçoivent un manuel de maternité avec des conseils sur leur mode de vie. Nous espérons y inclure des conseils sur la gestion de la glycation, car les habitudes de vie peuvent entraîner des mutations épigénétiques sur la progéniture. La ville d’Izumiotsu à Osaka a commencé à distribuer gratuitement des céréales complètes aux femmes enceintes afin de réduire le stress glycémique.
Pr Castillo : Plus tôt nous commencerons, mieux ce sera. Au fil des ans, la capacité de régénération diminue et les protéines glyquées s’accumulent. Une façon de réduire la glycation est d’éviter les pics de glycémie. Pour y parvenir, il faut éviter de consommer des aliments à indice glycémique élevé ou avec des sucres ajoutés. Il est également bénéfique de ne pas manger en continu et d’éviter la consommation d’aliments riches en protéines déjà glyquées (comme les grillades et ceux dont la préparation implique la caramélisation, une forme de glycation). Faire de l’exercice régulièrement peut également favoriser la consommation de glucose par les muscles. On a constaté que certains composés, comme l’acide rosmarinique sous certaines formes, permettent de favoriser l’élimination des produits de glycation avancée (AGEs).
Comment évaluez-vous les résultats d’un traitement contre la glycation ?
Pr Castillo : Basiquement, il s’agit d’une amélioration de l’apparence et de la fonctionnalité, souvent une perception subjective. Étant donné que c’est un effet à long terme, il est difficile de l’évaluer.
Pr Yonei : La détermination de la pentosidine plasmatique, l’HbA1c et l’indice de résistance à l’insuline sont utiles pour une évaluation pré et post-traitement. Il serait souhaitable d’intervenir à partir du moment où ces valeurs se situent dans la fourchette normale, avant qu’elles atteignent des niveaux prédiabétiques.
Est-ce que vieillir est une fatalité ? Peut-on espérer un vrai rajeunissement ?
Pr Yonei : Récemment, la «méthylation de l’ADN» a attiré l’attention en tant qu’indicateur de la sénescence cellulaire.La glycation induit des changements épigénétiques. Il est possible de prévenir la sénescence cellulaire en mobilisant les mécanismes de réparation de l’ADN mais il est plus important de la prévenir en réduisant la glycation par des pratiques de vie adéquat.
Pr Castillo : Le rajeunissement est difficile, coûteux, il nécessite des efforts et de la constance et ses effets sont limités dans le temps. Ralentir le processus de vieillissement et atténuer ses conséquences est beaucoup plus facile et plus efficace, y compris à long terme, même si c’est moins spectaculaire. Malheureusement, cela n’attire pas l’attention, ne génère pas de gros titres ni de clics.
Daniel Jean, pharmacologiste, ancien enseignant universitaire est le fondateur de l’Institut des Substances Végétales. Il est l’auteur de nombreux brevets dont celui portant sur la déglycation des protéines qui a conduit à la mise sur le marché du 1er déglycant commercialisé sous le nom de AGE Breaker.
Pr Jean, comment avez-vous découvert le produit qui permet d’inverser le processus de la glycation ?
Par une double approche faisant appel à l’ethnopharmacognosie et à l’intelligence artificielle. Nous avions remarqué l’analogie entre les troubles liés au diabète et ceux du vieillissement. C’est ce qui nous a conduits à considérer la glycation comme une des toutes premières causes du vieillissement. Nous avons repéré des molécules actives dans les complications du diabète, puis nous avons décrypté leur mécanisme d’action et enfin cherché dans des plantes alimentaires, via des méthodes in silico, des substances déglycantes particulièrement performantes.
Des difficultés particulières ?
La démonstration de la déglycation, réputée impossible à l’époque, nous a pris beaucoup de temps. La communauté scientifique et médicale est par nature très exigeante et très difficile à convaincre quand il s’agit d’innovation de rupture.
Quelles sont les dernières avancées scientifiques sur lesquelles vous travaillez ?
Nous travaillons sur la déglycation des histones – les protéines clés dans le bon déroulement de la réplication de l’ADN. Nous travaillons aussi sur les liens entre la glycation et les effets sur la longévité de la restriction calorique. D’une manière générale, nous nous intéressons à tous les liens entre la glycation et les mécanismes identifiés du vieillissement comme la gestion par l’organisme des cellules souches, l’attrition des télomères et bien sûr sur le métabolisme énergétique de la cellule.
Des espoirs dans un futur proche ?
Oui, les progrès de l’intelligence artificielle nous permettent maintenant de nous attaquer à des problèmes in silico qui étaient encore impossibles à envisager il y a seulement quelques années. Sans aucun doute, nous aurons accès à de nouvelles solutions sénothérapeutiques qui pourraient rallonger l’espérance de vie en bonne santé dans les toutes prochaines années.
Pr Yoshikazu Yonei, Pr Daniel Jean et Pr Manuel J. Castillo
Pr Yoshikazu Yonei Enseigne la médecine anti-âge à l’université Doshisha de Kyoto au Japon. Directeur de la revue scientifique « Glycative Stress Research ». Membre du bureau de la société japonaise.
Pr Daniel Jean Pharmacologiste, ancien enseignant universitaire. Fondateur et directeur de l’Institut des Substances Végétales.
Pr Manuel J. Castillo Professeur de physiologie médicale, Faculté de médecine, Université de Grenade, Espagne. Président du comité scientifique de la Société espagnole de médecine anti-âge et longévité. Conseil consultatif de la Société européenne de médecine préventive, régénérative et anti-âge (ESAAM). Consultant pour le bien-être et la santé en entreprise.