Dans une interview accordée à la presse écrite il y a longtemps, Marie-Louise de Clermont-Tonnerre déclarait être entrée chez Chanel, dont elle pilotait les relations publiques, comme on entre en religion. Je lui emprunte aujourd’hui ses mots et estime être entré dans l’univers de l’esthétique médicale de la même manière. C’était en 2002, la première toxine botulinique de type A à visée esthétique était en attente d’AMM, et je me suis dit que cette révolution pacifique ne se passerait pas sans moi, quelque soit ma participation.
Nouvellement ordonné, je rencontre les dieux de l’esthétique, experts internationaux ou discrets praticiens, tous mus par une vision du beau, de l’équilibre, tous dotés d’une forme de magie au bout des doigts. J’en croise également quelques mauvais, mais à quoi bon en parler quand il y a tant à dire sur les meilleurs et les bons … L’aventure était lancée.
Très vite, l’environnement a changé et l’esthétique médicale est devenue un sujet à sensation, pris en otage par ceux qui n’y connaissaient rien. Trash TV, BOTOX(r) en première page pour dynamiser les ventes de papier … rien ne lui a été épargné, réveillant les tabous et attisant les convoitises tels la jeunesse éternelle, le charme et la séduction (re)trouvés, le prix à payer ou la souffrance à consentir pour être belle. Et bien entendu ce fameux argent gagné par ces magiciens subitement mis en lumière…
Parallèlement et bien plus positivement a émergé dans les médias une nouvelle catégorie de rubriques, pilotées par des journalistes devenu(e)s expert(e)s du sujet. Le rythme est passé d’un article publié de temps à autre sur la chirurgie esthétique ou sur un soin non-invasif à un focus hebdomadaire ou mensuel selon les publications, sans parler des sites internet …
Aujourd’hui, l’esthétique médicale est un sujet quotidiennement relayé.
Plusieurs raisons à cela : la réalité est que la révolution de la prise en charge des patients, déclenchée par l’arrivée de la toxine botulinique de type A à visée esthétique en 2003, n’a jamais cessé. Elle a initié une réflexion et un mouvement perpétuels, une accélération et une démultiplication des possibilités de procédures jamais démentis depuis, toutes zones du corps confondues.
Ce foisonnement apporte son lot de poudre aux yeux, mais aussi de pépites : Si chez certains la course à la nouveauté pour séduire clients et patients ne répond pas toujours aux exigences liées au temps et aux investissements nécessaires à la mise au point d’une véritable innovation, sure et efficace, la concentration de l’industrie pharmaceutique autorise en revanche une dynamique d’acquisitions très positive des “petits” à grande valeur médicale ajoutée par les plus “grands”, comme en témoigne la récente histoire de EarFold, débutée en famille dans un salon au Royaume-Uni et maintenant sur la scène internationale, bénéficiant de toute la bienveillante écoute que des oreilles parfaitement recollées sans douleur peut autoriser …
Et nous au milieu de tout cela ? Nous “respirons” l’air et vivons l’ère de l’esthétique médicale et savons faire la part des choses, mais contre toute attente, le grand public et les patients restent à un niveau d’information insuffisant.
Pour exemple, lorsque que l’on se penche sur la problématique des dispositifs injectables, alors que l’on observe une “normalisation ou banalisation” du sujet qui tendrait presque à faire oublier qu’il s’agit d’un acte médical, se posent deux vrais problème et enjeu de pédagogie : la plupart des patient(e)s ignore encore ce qui leur a été injecté.
Ce constat constitue un vrai préjudice pour les laboratoires véritablement spécialistes et, quoiqu’ils en pensent, pour les médecins qui estiment que les patients ne sont pas intéressés de le savoir. Pour recycler (mal) la première réplique d’un film à succès, “un homme tombe du quarantième étage et tant qu’il n’a pas atteint le sol se dit – jusque-là tout va bien -”
Bien entendu c’est au médecin de poser le diagnostic. Pour autant je reste convaincu que “l’éducation” du patient permet la meilleure issue. Et je ne crois qu’en une seule sortie, celle qui s’opère par le haut. Nous avons tous tout à gagner à une véritable et efficace information du patient.
Y compris l’environnement réglementaire français qui devrait y prendre plus part. Je connais nombre de médecins irréprochables, qui ont été convoqués à comparaître sur le motif qu’un média grand public avait rendu leur nom public sans qu’ils l’aient sollicité. Et ceci sur le motif que cela avait bien ridé, froissé pardon, certains de leurs confrères en mal de visibilité. Cessons de ne pas autoriser une communication directe, qui pour le coup pourrait être encadrée et rigoureuse, quand Internet, incontrôlable, est la porte ouverte à toutes les promesses et à toutes les délations.
L’affaire PIP est le porte drapeau des diabolisations à l’extrême, procès de ce qui est avant toute chose une escroquerie, et devenu l’Inquisition d’une catégorie en l’associant bien malgré elle à ce qui a été décrit comme un scandale de santé publique. C’en est un certes, mais pas du fait du monde de la santé. Ces gens auraient été actifs dans l’industrie automobile, ils auraient trafiqué des plaquettes de freins, des ceintures de sécurité ou des détecteurs de pollution et on aurait alors parlé de fraude à la qualité. L’amalgame avec les fabricants de prothèses mammaires est très heurtant.
De l’hypocrisie sanitaire au paradoxe grand-public qui en est l’ombre portée, il n’y a qu’un pas car les a priori et “prêt-à-penser” quand il s’agit de la médecine et de la chirurgie esthétiques sont nombreux.
Exemples de propos trop souvent entendus :
– Faire traiter son visage peut être perçu comme tricher alors que faire traiter son corps équivaut à prendre soin de soi et être respectueux/se d’autrui. J’en sais quelque chose, entendant régulièrement de certains que je ne devrais pas faire traiter mes rides et assumer mon âge, et entendant des mêmes que les quelques traitements de body contouring que j’ai reçus ont eu le plus bel effet sur ma silhouette de presque quinquagénaire, et que si j’ai des noms de médecins à communiquer on se porte preneur etc … Pourquoi traiter le visage serait-il une “tricherie” alors que traiter la taille ne l’est pas ?
– un “vieux” médecin exerçant en thérapeutique est un bon médecin car il en a vu beaucoup alors qu’un un jeune médecin installé en esthétique est un bon médecin car il a l’air jeune.
– la réhydratation profonde du derme serait avant toute chose un soin hydratant, nouveau de surcroît, sur le motif qu’il n’y a pas de soulèvement des tissus. Il m’est même arrivé d’entendre qu’il ne s’agit pas d’injections … À quand médecin égale esthéticien ?!
Par ailleurs, l’ère de l’immédiateté et de la sur-réactivité, effets pervers de la révolution internet, ont de lourdes conséquences sur la façon dont le grand-public, par sa méconnaissance, se comporte :
Nous sommes parfois plus confrontés à des attitudes qui laissent penser au “client roi » plutôt qu’à un patient : “je veux une consultation aujourd’hui ou demain / je veux un résultat immédiat que tout le monde remarque mais que personne ne décèle, pas d’ecchymose, de gonflement ni de post-op / j’achète beaucoup de produis de luxe en vente privées et peux vous dire que vos soins sont trop coûteux etc.”
Le nomadisme médical qui en découle ne fait de bien à personne, pas plus que les “loupés” bien visibles mais pas aussi nombreux qu’on le prétend, qui en résultent.
Alors que faire, chacun à sa modeste place ? Sensibiliser et éduquer encore et toujours aux gestes esthétiques pour mieux traiter dans la durée.
Et surtout, se décoller le nez de la vitre : fin mars à l’AMWC se retrouveront +- 10 000 médecins, venus du monde entier. Un chiffre très impressionnant en regard d’études européennes qui montrent que 3% seulement des femmes “passent à l’acte” quand il s’agit des dispositifs injectables. Où donc se trouve le petit caillou qui contrarie la dynamique et freine la concrétisation du traitement ?
Une communication plus ouverte, un vrai accompagnement des patient(e)s dans un geste qui est bel et bien un acte médical, voilà l’enjeu crucial de notre secteur d’activité.
C’est le devoir et le travail de chacun, qui doit bien garder à l’esprit que dans un monde zappeur, il faut répéter les mêmes messages en permanence.
A propos :
Jean-Yves Goar est conseil en communication. Ses cœurs de métiers portent sur la stratégie de relations presse et la gestion de crise pour des entités et entreprises se situant à la croisée de la beauté et de la santé, du luxe et des questions de société. Il est spécialisé en dermo-cosmétique, en esthétique médicale, en santé grand-public et en gestion de leaders d’opinion.