Par docteur Christophe de JAEGER
Médecin physiologiste spécialisé dans la longévité humaine. Il dirige l’Institut de médecine et physiologie de la longévité à Paris et est Chargé d’enseignement à la faculté de médecine Paris. C’est l’un des pionniers de la médecine de la longévité en Europe, conférencier international et auteur de nombreux articles et livres grand public.
Le transhumanisme est une fausse nouvelle idée. En effet, les hommes ont toujours souhaité améliorer leurs performances. Les élixirs du moyen âge dans la lignée des préparations égyptiennes, donnant force, vitalité, santé, longévité appartiennent à cette mouvance très forte chez certains êtres humains.
Cette notion d’«amélioration» de l’être humain renaît après la guerre dans un mouvement qui s’est développé aux Etats Unis dans les années 1950 donnant naissance au Transhumanisme. Celui-ci part d’un «triste» constat : les systèmes biologiques (cellules, tissus, organisme) sont fragiles et conduisent à la maladie et à la mort. Il faut donc s’en affranchir grâce aux progrès des biotechnologies. L’objectif du Transhumanisme est donc dans un premier temps d’améliorer «techniquement» l’être humain, puis de dépasser le stade de l’organisation biologique, pour arriver au stade dit post-humain, stade caractérisé par des capacités supérieures aux capacités actuelles de l’être humain. L’essor du transhumanisme est principalement lié au développement des techniques qu’elles soient informatiques et biologiques (explosions des recherches sur les cellules souches, les nanotechnologies…) qui permirent aux théoriciens et partisans de ce mouvement d’avoir enfin un support scientifique sérieux à leurs théories.
La mort de l’humanité
Pour Ray Kurzweil, devenu directeur de l’ingénierie chez Google, dans 15 ans environ, les humains seront devenus des hybrides, des cyborgs dont l’intelligence sera dans le cloud.
Il a révélé dans une conférence à New York que nos cerveaux pourront se connecter au cloud, où des milliers de serveurs nous aideront à accroître notre intelligence. Pour y arriver, il faudra compter sur des «nanobots», des robots miniaturisés à l’extrême composés à partir d’ADN. Dès lors, «notre pensée sera une hybridation de pensée biologique et non biologique», a-t-il prédit. En expliquant ensuite que plus gros et complexe serait le cloud, plus avancée serait notre forme de pensée. Toujours d’après Ray Kurzweil, ce sont là des améliorations qui encourageront l’humanité à se tourner de plus en plus vers le nuage pour augmenter son potentiel de réflexion. A tel point qu’à la fin des années 2030 ou au début des années 2040, notre pensée sera majoritairement non biologique. «Nous allons graduellement fusionner et nous améliorer», continuait-il.
Mais sommes-nous prêts pour la grande longévité ?
De nombreuses personnes dans le monde souhaitent également faire partie de cette aventure qui ne peut que séduire le cœur des hommes. Qui ne souhaiteraient pas vivre très longtemps en bonne santé ? Dans mon expérience, la quête de l’immortalité n’a pas de sens en soi aujourd’hui. Que voudrait dire vivre 100 000 ans ? Rien. Nous n’avons pas aujourd’hui la maturité pour penser ce genre de réalité. En revanche, vivre 150, 250 ans ou plus, cela parait psychologiquement très accessible. Certains se demanderont « mais dans quel état ? ». En fait, il s’agit d’une fausse question. Car pour vivre 250 ans, on doit forcément vivre en bonne santé. Vous imaginez vous vivre 100 ans en forme et 150 ans, malade, infirme, dépendant ? Cette perspective est en soi impensable. Quelques soient les techniques utilisées, notre fin de vie sera toujours à peu prêt similaire : quelques années de maladies « supportables », quelques années de perte d’autonomie acceptables et enfin l’arrêt de tout nos systèmes physiologiques : la mort.
Mais pourquoi parler de 150 ans, de 250 ou de 1000 ans ? Notre corps est fait pour se régénérer perpétuellement. C’est l’altération de nos systèmes de régénérations qui conduit au vieillissement et à la mort. En d’autres termes, il s’agit de la perte de nos capacités de maintien de l’homéostasie physiologique. Si nous maintenons nos capacités de réparations qu’elles soient directes ou indirecte, nous mettons le corps humain en situation de ne plus vieillir. L’espérance de vie devient alors un critère secondaire puisqu’il n’y a plus de limite. Nous y sommes déjà et rien techniquement ne nous empêche de rajeunir ceux qui le souhaitent. Cela n’est plus qu’un simple problème technique que nous savons résoudre.
La santé mentale du candidat à « l’immortalité »
Assurer au muscle cardiaque, aux artères, aux os… des capacités fonctionnelles optimales est une chose. Mais le cerveau est différent : c’est un organe à deux dimensions : 1/ une dimension physiologique classique, chimique, avec des neurotransmetteurs, des membranes, une vascularisation, etc… 2/ une dimension psychique. Cette dernière ne répond pas du tout aux mêmes critères que la première. Il ne s’agit plus de fonctions physiologiques à maintenir à l’optimum, mais d’une fonction « psychogène » qui évolue pour elle-même, selon sa propre logique, parfois inconnue de la personne elle-même et qui peut avoir des conséquences délétères sur le fonctionnement de l’organisme, allant même jusqu’à potentiellement organiser son suicide biologique. Dans quel état sera l’esprit d’une personne ayant vécu 250 ou 500 ans ?
Est-ce que les 125 ans théoriques de notre espèce ne sont ils pas la dernière frontière possible pour rester « sain d’esprit » ?
A titre personnel, avec une expérience d’environ un quart de siècle dans ce domaine, je crois réellement que l’esprit est la limite. Je le vois d’ailleurs bien au quotidien avec mes patients : Je ne vois que ceux qui veulent tout faire pour vivre en bonne santé… longtemps. D’autres, même parfois très riches, ne le souhaitent pas. Leurs 80-90 ans d’espérance de vie, dont une vingtaine malade, leur conviennent très bien.
Le danger du Transhumanisme
Je partage avec le courant transhumaniste cette volonté, pour le coup profondément humaine, de toujours vouloir aller plus loin, malgré les pessimistes, les méchants et les conventionnels. Mais ensuite, j’ai l’impression d’avoir à faire à des geeks qui n’ont aucune expérience du vivant, aucune maturité et qui se trompent de solution : ce sont des adolescents. Vivement qu’ils murissent et en viennent à des choses sérieuses et que l’on fasse exploser la longévité humaine en pleine santé.
Il ne s’agit pas de transformer l’être humain en « autre chose », ni de faire appel à des technologies extra biologiques, mais de corriger les imperfections et dysfonctionnement à la base du vieillissement. Le vieillissement étant ensuite l’un des principaux vecteurs de la maladie, qui lorsqu’elle survient aggrave le vieillissement. Les technologies les plus sophistiquées sont utilisées pour mieux comprendre les dysfonctionnements de l’organisme et les corriger le plus tôt possible pour éviter cette auto dégradation conduisant à la maladie. La médecine régénérative a une place importante dans cette stratégie de lutte. Le longévisme fait confiance à l’homme et le transhumanisme cherche à terme un autre support à l’humanité. J’ai à titre personnel la conviction que les solutions à une augmentation considérable de notre espérance de vie sont dans nous même et nous travaillons tous les jours dans mon Institut à les révéler.